C’est une messe bien particulière que nous célébrons en ce 3ème dimanche du temps du carême. Une messe apparemment sans peuple, mais en réalité une messe où tout le peuple est présent dans un
profond mystère de communion grâce à nos moyens de communication.
Oui ce matin je célèbre la messe pour tout le peuple de Dieu qui est dans le diocèse de Séez. Je le fais en communion avec tous les prêtres qui célèbrent individuellement. Oui la messe est célébrée aujourd’hui dans notre diocèse, mais nous y communions d’une façon différente.
Vous êtes présents ce matin à notre prière :
- vous les personnes âgées et fragiles,
- vous les familles, vous les jeunes,
- vous les chrétiens de toute condition et de tout état de vie qui vivez ce dimanche un jeûne eucharistique.
Chaque dimanche le curé d’une paroisse est invité à célébrer la messe pro populo, c’est-à-dire pour son peuple. C’est ce que nous faisons ce matin à l’échelon du diocèse. Nous portons dans notre prière la situation mondiale face à cette pandémie.
Les dernières paroles que nous entendrons dans l’évangile de ce jour doivent nous guider : « nous savons que c’est vraiment lui le sauveur du monde ». Ces paroles concernent Jésus.
Oui telle est notre unique espérance, Jésus est le sauveur du monde. Au nom-même de cette affirmation nous prions aujourd’hui pour notre monde et l’épreuve qu’il traverse.
Nous n’oublions pas toutes les épreuves : physiques, morales, spirituelles qui touchent aujourd’hui nos contemporains. Il est paradoxal qu’un monde qui se croit parfois si puissant, qui s’autorise parfois à jouer les apprentis sorciers sur le plan anthropologique ou écologique se retrouve ainsi si rapidement fragilisé. Qu’un monde parfois si insouciant soit en quelques jours remis devant des peurs qu’on croyait oubliées. Nous sommes dans ce monde et notre foi nous invite à la prière.
1re lecture : Exode 17, 3-7 Psaume 94 2e lecture : Romains 5, 1-2 ; 5-8 Évangile : Jean 4, 5-42 |
Il est finalement très impressionnant de prêcher ce matin dans cette basilique vide de monde. Oui notre célébration ce matin nous place dans une situation bien originale. Vous n’êtes pas présents
physiquement dans nos églises comme chaque dimanche, vous jeûnez de la communion eucharistique.
Ce jeûne, il nous est imposé, non pas par des ennemis qui nous seraient hostiles, mais par le gouvernement de notre pays qui fait face à une épidémie que l’on doit considérer avec le plus grand sérieux.
Certains diront que tout cela est excessif. C’est un sentiment qui a pu traverser mon esprit hier soir. Est-ce que nous n’en faisons pas trop ? Le problème est que nous n’aurons la réponse à cette affirmation dans quelques semaines, mais alors il sera trop tard pour prendre de telles mesures.
Sans tomber dans le « risque zéro » ou la panique, qui seraient paralysants et inhumains, ne reprochons pas à ceux qui nous gouvernent de faire le maximum au service de la santé publique. Les autorités sont ici dans leur rôle, elles font leur devoir.
Il y a dans ce domaine des prises de conscience à opérer et des mesures drastiques sont souvent efficaces pour y parvenir. Revenant de Rome pour la visite Ad Limina j’ai été admiratif de voir l’obéissance de nos amis italiens. La ville de Rome, déserte en plein après-midi avec son lot de sacrifices financiers, professionnels pour bien des personnes, était bien émouvante. Il était évident que dans cette ville de Rome déserte, un vrai rempart à la propagation du virus était clairement établi. Comme le disait le premier ministre hier, ce n’est pas le virus qui se déplace, c’est nous qui lui donnons l’occasion de se déplacer.
Il nous faut entrer dans ce civisme, dans ce souci du bien commun, dans cette attention aux plus fragiles. Personne ne peut dans le temps que nous vivons ne s’intéresser qu’à son propre confort ou sa petite personne. Il nous faut une réflexion et une attitude commune, citoyenne. Chrétiens, nous devons être en première ligne de ce combat. Dans les semaines qui viennent soyons vigilants, soyons attentifs les uns aux autres. Pensons aux personnels soignants, pensons à ceux qui assurent les services publics, proposons notre aide pour venir en aide à ceux qui vont donner beaucoup d’eux-mêmes dans des heures supplémentaires et des nuits très courtes.
Il faut parfois des événements graves pour prendre la mesure de notre richesse. La circonstance que nous vivons ce matin nous invite à mesurer l’importance et la beauté de l’eucharistie. Elle nous invite à mesurer la chance de pouvoir vivre du mystère de l’eucharistie chaque dimanche et pour certains chaque jour.
La situation que nous vivons aujourd’hui peut nous mettre en communion par exemple avec les chrétiens d’Amazonie dont le dernier synode nous a indiqué que pour beaucoup de communautés, l’eucharistie n’était célébrée que quelques rares fois dans l’année.
En indiquant hier soir que les messes étaient supprimées sur tout le territoire du diocèse, je n’ai pas écrit ce communiqué à la légère. J’ai bien mesuré la souffrance, l’épreuve, que cela constitue pour beaucoup d’entre vous. Paradoxalement, cette souffrance me réjouit car elle est le signe de votre attachement au Seigneur dans ce rendez-vous de l’eucharistie.
Je voudrais néanmoins remettre les choses dans leur juste perspective. Honorer le jour du Seigneur est un commandement de Dieu. Nous devons marquer le dimanche comme le jour de la résurrection, un jour à part, un jour unique. Le Saint pape Jean-Paul II avait écrit un texte magnifique à ce sujet en 1998, il pourrait être bon de le méditer en ces temps : Dies Domini. Le dimanche est le jour du Seigneur, mais aussi le jour de la famille, le jour des pauvres, le jour de la solidarité, le jour du repos.
En ce jour du Seigneur, l'Église a elle aussi donné un commandement, celui de la pratique dominicale. Aller à la messe le dimanche est un appel que les chrétiens doivent entendre, qui doit les réjouir, les mobiliser. Nous avons beaucoup à faire pour qu’il en soit ainsi. Paradoxalement cette disette temporaire peut nous aider à retrouver le sens de l’eucharistie.
Alors en ce jour, vous qui n’allez pas communier au Corps du Christ :
- communiez à sa parole,
- communiez avec des frères isolés,
- communiez en venant prier cet après-midi dans l’église,
- communiez en prenant un temps de prière. C’est là que le Seigneur nous attend.
Nous célébrons en ce dimanche la troisième étape de ce temps du carême. Après le désert de la tentation, après la montagne de la transfiguration, nous sommes au puits de Jacob pour cette magnifique rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Cette célébration est aussi le premier scrutin pour nos frères et sœurs catéchumènes. Nous prions pour eux.
Jésus rencontre cette femme et lui adresse cette demande : donne-moi à boire. Jésus dans la fragilité de son incarnation commence cette rencontre par cette humble demande où il se révélera comme celui qui peut donner l’eau vive en abondance.
Il va faire advenir cette femme à la vérité de son existence. Il va aussi lui révéler la vérité de son identité, il est lui Jésus le sauveur du monde.
C’est vers ce sauveur que nous marchons en ce temps de carême ; c’est lui qui peut rassasier toute nos soifs, c’est lui qu’il faut adorer en esprit et en vérité.
Demandons la grâce pour nous-mêmes, les uns pour les autres d’être à l’école de cet unique sauveur et de savoir en témoigner par toute notre vie.
La crise sanitaire que nous traversons et qui risque de se transformer en crise économique et sociale est le reflet d’une crise spirituelle d’une grande ampleur. Quel est le sens de notre existence, où sont nos valeurs, quelle fraternité nous mobilise, quelle société voulons-nous construire ?
Soyons présents aux questions de nos contemporains. Nous n’avons pas de remède miracle pour le coronavirus, nous ne serons pas forcément les plus généreux dans les semaines qui viennent, mais nous devons vivre ce temps dans la foi, l’espérance et la charité. C’est la grâce que nous demandons.
En ces temps difficiles soyons aussi des priants, des intercesseurs. Je vous invite solennellement à vivre en communion avec le sanctuaire de Lourdes la prière du chapelet qui sera célébrée chaque jour à partir de mercredi : une grande neuvaine du 17 au 25 mars à 15h30.
Personnellement je prierai le chapelet à la cathédrale devant Notre Dame de Séez autant qu’il me sera possible pendant ces 9 jours à 15h30. Je vous invite à ce que dans nos paroisses, nos chapelles, nos oratoires, nos maisons, le chapelet soit ainsi prié à cette intention tous les jours dans la communion fraternelle.
A la prière des laudes ce matin la parole de Dieu retentissait : « ce jour est consacré au Seigneur, ne vous affligez pas, la joie du Seigneur est notre rempart ».
Alors que nous voudrions élever des remparts pour lutter contre le virus. N’élevons pas des remparts entre nous, n’élevons pas des remparts à la fraternité. Réaffirmons avec force que le Seigneur est notre rempart, il est notre espérance. A lui dans un instant nous confions nos prières, à lui dans cette eucharistie nous confions nos vies. Nous lui demandons la grâce de traverser cette épreuve dans la dignité la paix et la confiance.
Monseigneur Jacques Habert,
évêque de Séez