1re lecture : Ben Sira le Sage 35, 15b-22a Psaume 33 2e lecture : Timothée 4, 6-18 Évangile : Luc 18, 9-14 |
Jésus raconte une parabole. Pas une histoire vraie. On peut donc se dire qu’il force le trait par souci pédagogique, en caricaturant ce pharisien tellement imbu de lui-même et méprisant vis-à-vis des autres. Mais à y regarder de plus près, on remarque que ce pharisien ne parle pas à haute voix, il fait ses remarques « en lui-même ». C’est d’ailleurs une prière. Donc, il parle à Dieu, dans le secret. Inutile de se cacher devant Dieu, on peut tomber le masque, surtout quand ce qu’on a à lui dire est à notre avantage.
En public, dans un salon de pharisiens de Jérusalem, il aurait dit les choses autrement, il aurait su se mettre en lumière avec l’air de ne pas y toucher, il aurait essayé de jouer les modestes… Je précise cela pour que ça ne nous empêche pas, ni vous ni moi, de nous identifier à lui.
Nous savons si bien faire des comparaisons à notre avantage, repérer la paille dans l’œil de nos voisins sans voir la poutre qui est dans le nôtre… Nous nous attribuons si facilement des bons points, des circonstances atténuantes que nous sommes incapables de reconnaître aux autres. Nous trouvons que décidément notre famille est pas mal, mais c’est normal, nous avons fait ce qu’il fallait pour… Ce n’est pas comme les Truc-Muche… Bref, on peut trouver une version « salon catho » des « vamps », ce sketch de deux vieilles dames acariâtres dont l’activité principale est de dénigrer leur prochain. Nous ne sommes pas nécessairement si loin de ce pharisien qu’il paraît au premier regard.
Ce qui demeure compliqué dans cette affaire, c’est que ce pharisien est un bon pharisien. Pour ne pas tourner en rond, disons un bon catholique, car c’est assez simple à transposer : Il va à la messe, il prie matin et soir, il verse au denier de l’Église, généreusement même puisque c’est la dîme, le dixième de ses revenus (à bon entendeur…).
Allons-nous le blâmer de cette bonne conduite, comme semble faire Jésus ? Devrais-je vous conseiller de ressembler plutôt au publicain, ce collaborateur de l’occupant romain, peu recommandable, qui profite de la situation au détriment de ses frères de race ?
Ce serait ne pas comprendre le fond de l’affaire. Jésus demande de jeûner, de partager son bien, il ne reproche donc pas au pharisien ses bonnes œuvres. Ce qu’il lui reproche, c’est son jugement. Un double jugement : il se juge lui-même avec une réelle bienveillance et il porte sur le publicain un jugement sans appel, qui est une réelle condamnation.
Posons-nous alors la question : est-il possible de vivre sans juger ? Dans une certaine mesure, juger n’est-il pas même un devoir ? Nous avons cette faculté et cette nécessité d’évaluer la valeur des actes. Le juge du tribunal, le confesseur, les parents, le professeur doivent évaluer, porter un jugement. Saint Augustin dit qu’on ne peut pas exclure le jugement de notre vie, mais qu’on peut exclure le venin de notre jugement.
Si notre jugement est le fait de celui qui aime, et non un jugement de suffisance ou du mépris comme dans notre parabole, alors il est pour le bien.
Face à ce portrait « parabolique » de notre pharisien, je voudrais vous proposer un portrait historique. Celui d’une excellente catholique, au palmarès difficile à battre. Elle a reçu dans sa famille tout ce qu’il faut d’amour et de piété. Elle n’a jamais commis de péché mortel, selon son directeur de conscience, elle a toujours cherché la vérité. Elle a cherché avec ardeur la sainteté. Bref, à l’époque de Jésus, elle eût été une excellente pharisienne.
Comme pour le pharisien, nous connaissons bien ses sentiments puisqu’elle parle à cœur ouvert en rédigeant, par obéissance, l’histoire de son âme. Écoutons Thérèse, en ayant en perspective notre pharisien. Elle écrit dans son acte d’offrande : « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux ».
Et pour une de ses novices, elle écrit cette prière : « Ô Jésus (…) pour m'enseigner l'humilité, Vous ne pouvez Vous abaisser davantage ; aussi je veux, pour répondre à Votre amour, me mettre au dernier rang, partager Vos humiliations, afin « d'avoir part avec Vous » dans le royaume des Cieux. Je Vous supplie, mon divin Jésus, de m'envoyer une humiliation, chaque fois que j'essaierai de m'élever au-dessus des autres ».
La méthode est énergique. Mais elle dit l’état d’esprit. Thérèse a cherché et trouvé l’humilité par le moyen de la foi. Elle est devenue humble parce qu’elle a confessé les Miséricordes de Dieu. Au point qu’à la fin de sa vie, elle pourra écrire cette phrase audacieuse : « je crois que je suis humble ».
On peut relire aussi dans cette perspective la lettre de Paul à Timothée. Pourtant Paul n’a pas une petite estime de lui-même : « j’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Il ressemblerait étrangement à notre pharisien, si il ne terminait en reconnaissant qu’il n’y a rien qu’il n’ait reçu : « le Seigneur m’a assisté, il me sauvera… il me fera entrer dans son Royaume ».
Notre pharisien est à l’inverse. Ses bonnes œuvres sont comme des créances qu’il présente à Dieu. Puisqu’il agit bien, Dieu lui doit de la reconnaissance, Dieu lui doit le Royaume. C’est Dieu qui a une dette envers lui ! Thérèse ou Paul, savent au contraire qu’en dehors de la miséricorde de Dieu, ils n’auraient été capables de rien.
« On ne parvient pas à la foi par les vertus, on parvient aux vertus par la foi ». écrit Saint Grégoire le Grand. Voilà la révolution copernicienne que nous avons sans cesse à accomplir. Ouvrons nos mains vides, Dieu ne demande qu’à les remplir. Amen.
Mgr Pierre-Antoine BOZO,
évêque de Limoges