1re lecture : Genèse 18 20-32 Psaume 137 2e lecture : Colossiens 2, 12-14 Évangile : Luc 11, 1-13 |
1. La première lecture, chers amis, peut paraître bien naïve, voire choquante pour nos oreilles du XXIème siècle ; peut-être moins aujourd’hui qu’hier, beaucoup ont entendu parler du châtiment extrême qui s’est abattu sur les deux villes impies de Sodome et Gomorrhe à cause du péché capital qu’elles ont commis, celui de ne pas avoir exercé cette tradition capitale dans un contexte de nomades, de désert et de l’Orient tout ensemble, celle de l’hospitalité : elles ont repoussé l’accueil de Lot et sa famille, les condamnant à fuir en désordre dans une autre ville.
2. Pourtant ce vieux texte mérite qu’on s’y arrête, à cause des enseignements qui s’en dégagent. J’y admire d’abord la merveilleuse familiarité entre Abraham et le Seigneur, Abraham parle en effet à son Dieu avec beaucoup de simplicité, et en même temps beaucoup de respect ; Dieu n’apparaît pas dans ce texte comme un monarque redoutable, lui le maître et le souverain de toute la terre, devant qui on pourrait être terrifié. Non seulement il converse familièrement avec Abraham son ami, mais il accepte d’être bousculé par lui, et de réviser son jugement. // Je me dis alors : « Ah… s’il pouvait en être de même pour nous, dans nos relations avec Dieu, une relation vraie, ajustée, amicale, comme un ami parle à son ami… » ; non pas voir en Dieu, d’abord ce qu’il pourrait nous apporter ; ou à l’inverse, non pas voir en Lui celui qui nous attend au tournant parce que nous n’aurions pas fait ceci ou cela, // mais nous risquer à une conversation familière, confiante, amicale… Tu es Dieu et tu as plein d’affaires à gérer, que je respecte ; et moi, je suis moi, je me présente devant toi avec respect certes, mais dans l’assurance que tu ne me juges pas, que tu me prends comme je suis… ». A ce titre, la fameuse citation du curé d’Ars est incontournable : « Que faites-vous donc tous les bons matins dans l’église, à y passer du temps comme vous faites ? », dit-il au paysan de sa paroisse. « Je l’avise, et il m’avise », superbe réponse du paysan qui, il me semble, colle parfaitement à notre texte biblique de ce matin.
3. Il faut peut-être être passé par le Moyen-Orient pour goûter à sa juste valeur la saveur du dialogue qui s’instaure entre Abraham et le Seigneur ; Abraham prend d’abord le Seigneur « par les sentiments » si on peut dire les choses ainsi : Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Loin de toi une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge la terre n’agirait-il pas selon le droit ? Dans une façon toute orientale, Abraham en rajoute même un peu, pour souligner la misère de celui qui ose prendre la parole devant le « juge de toute la terre » : J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre… Nous parlions tout à l’heure de familiarité dans la relation avec le Seigneur ; ici il faudrait parler de respect ; quand je m’adresse au Seigneur, j’ai un respect immense, tant il est vrai que toute relation ne peut pas être vraie si elle n’est pas respectueuse envers celui ou celle à qui je m’adresse.
4. On voit ainsi le Seigneur céder pied à pied, dans ce dialogue magnifique, qui nous apprend tant sur la prière, et dont je voudrais dire quelques mots.
5. Au départ, à l’origine, il faut la relation de confiance. C’est un ami (une amie) qui s’adresse à un ami. A nous de voir où nous en sommes ! Si je vais vers le Seigneur seulement en fonction de ce qu’il pourrait me donner, m’apporter, la relation est biaisée dès le départ. Elle est commerciale, elle n’est pas gratuite. Quand on aime profondément quelqu’un, on ne l’aime pas pour ce qu’il va nous donner, mais pour ce qu’il est ; c’est nous qui avons envie de donner, on ne regarde pas d’abord ce que lui pourrait nous donner. On l’aime parce que c’est lui ; on craint de le blesser, on fait preuve de beaucoup de délicatesse avec lui, comme le fait Abraham vis-à-vis de son Seigneur.
6. Enfin nos demandes si elles sont légitimes, ne peuvent pas être comminatoires, définitives ; c’est non pas « Seigneur, ce que je veux », mais : « Seigneur, si tu le veux bien ». C’est l’homme faible, fragile, pécheur qui s’adresse à son Seigneur ; il s’adresse à lui en confiance, et même si c’est difficile pour lui, il ne demande pas la toute-puissance pour lui, il accepte de rentrer dans un ordre des choses qui peut parfois le dépasser, comme Jésus le jeudi-saint a accepté de rentrer dans sa Passion. Abraham joue de cela merveilleusement, en abaissant progressivement le nombre des justes supposer exister à Sodome.
7. J’aimerais enfin méditer, même très brièvement, la fin du texte, qui annonce que pour dix justes, le Seigneur ne détruira pas Sodome. D’une certaine façon, toutes proportions gardées, en nous réunissant le dimanche à l’église, petite poignée de baptisés au milieu de tout un océan de personnes qui sont ailleurs, dans les supermarchés ouverts le dimanche, à la pêche ou à la plage, nous sommes nous baptisés et croyants, comme ces dix personnes chargées de tenir dans la prière, chaque dimanche, pour ce monde qui nous environne, dont certains sont parfois si loin du Seigneur, de sa Loi d’Amour, si loin d’imaginer combien le Dieu auquel nous croyons de tout notre cœur les aime et voudrait faire sa Demeure en eux. Cela nous donne une mission redoutable : être ce minimum vital, fidèle dans l’amour et le service les uns des autres, fidèle à une relation d’amour aussi avec le Seigneur, pour que le monde qui nous entoure et dont nous sommes solidaires, tienne debout, fasse les bons choix, ne s’écroule pas dans la poursuite de chimères éphémères. Notre prière, là aussi, est capitale ! De tout cela, avec confiance, nous en demandons la grâce au Seigneur. AMEN !
P. Loïc Gicquel des Touches