1re lecture : Genèse 18, 1-10 Psaume 14 2e lecture : Colossiens 1, 24-28 Évangile : Luc 10, 38-42 |
1. Marthe et Marie, on les connaît un peu mieux par l’évangile de la résurrection de leur frère Lazare, où Jésus accomplit là son miracle peut-être le plus spectaculaire. Pour éviter peut-être de déprécier Marthe, rappelons que c’est elle qui court à la rencontre de Jésus averti de la fin prochaine de Lazare, et lui dit : Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort (Jean 11) ; c’est elle encore qui fait cette très belle profession de foi : Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. ».
2. Luc nous dit que c’est Marthe qui reçoit Jésus ; sans doute en tant que sœur aînée qui de temps en temps se sentait le droit d’avoir une certaine autorité sur sa sœur cadette.
3. Or nous sommes en Orient, où on ne badine pas avec l’hospitalité qui est un devoir sacré et primordial. S’il fallait en rajouter, voyez Abraham dans la première lecture, comment il s’agite pour accueillir ses trois visiteurs mystérieux !!
- il court à leur rencontre,
- il se prosterne, il va chercher de quoi manger,
- il court (encore, lui le vieil homme de 75 ans) au troupeau, choisit soigneusement un veau gras et le fait apprêter avec du fromage blanc, comme on sait encore si bien le faire en Palestine,
- il se tient debout devant eux, guettant le moindre de leurs désirs.
4. L’activité que déploie Marthe pour recevoir son ami Jésus n’est donc pas en cause, nous savons combien l’hospitalité est une qualité essentielle, elle est mise en valeur dans toute la bible : quand quelqu’un frappe à votre porte, prenez garde nous dit encore la lettre aux hébreux, c’est peut-être le Seigneur lui-même qui frappe… On peut ainsi supposer que Marthe, sincèrement touchée que Jésus passe chez elle, veuille mettre les petits plats dans les grands.
Et cependant saint Luc « met le curseur » ailleurs, comme on dirait aujourd’hui ; c’est l’attitude de Marie qui l’intéresse et sur laquelle il met l’accent.
5. Elle est assise aux pieds du Seigneur : c’est l’attitude de l’enfant, qui joue aux pieds de ses parents dans une proximité faite de confiance et de simplicité, et d’amour filial ; mais c’est aussi l’attitude du disciple, qui permet l’écoute, qui évoque tout ensemble l’attachement, l’affection, mais aussi l’humilité : je suis à ses pieds, en bas, j’accepte cette autorité qui me fait grandir.
Et elle écoutait sa parole. Une parole qui la remue au fond d’elle-même, une parole venue d’ailleurs, bien plus forte et prégnante que la parole souvent vide des hommes. Une parole qui la fait communiquer avec le ciel et lui fait comprendre d’où elle vient, de quel amour elle est aimée ; qui lui fait comprendre qu’elle n’est pas un simple jouet dans l’univers, que tout a un sens, et que c’est l’amour qu’elle éprouve pour son Dieu dont parle si bien Jésus qui lui donne son sens.
6. Marie, dans cet instant, a donc tout compris ; elle a compris qu’elle accueillait aussi bien le Christ, non pas en s’agitant comme le fait sa sœur dans son désir très grand de bien faire, de bien accueillir son ami, mais en restant à ses pieds, et en buvant ses paroles, comme on le dit aussi dans une expression très imagée. Car en l’occurrence, ce n’est pas tant ni Marthe, ni elle-même qui, par leur agitation, vont donner à manger à Jésus, mais c’est plutôt Jésus qui par son dialogue avec Marie, par son enseignement, c’est lui qui donne à boire, à manger. Et cette nourriture ne peut pas se donner dans l’agitation, et dans un sentiment larvé de reproche envers sa compagne qui ne fait rien, mais elle ne peut se donner que dans un cœur à cœur avec l’époux, celui qui vient, et qui se trouve avec Marie, dans cet instant privilégié d’intense communion. Peut-être que soumise amicalement à sa sœur, Marie n’a pas bronché à la remarque de sa sœur, mais on peut imaginer le choc que l’observation brutale de sa sœur a pu être pour elle, transportée qu’elle devait être par les paroles de Jésus, plongée dans une méditation qui n’avait rien à voir avec la table qu’il fallait dresser, ou le plat qu’il fallait préparer.
7. Ce court texte de la vie de Jésus, saisi sur le vif, a peut-être moins de relief que d’autres descriptions célèbres de miracles, mais il a beaucoup à nous enseigner. Méditons par exemple ce que nous faisons quand nous récitons le Benedicite, avant de nous mettre à table. Nous ne faisons rien moins que de dire au Seigneur que bien sûr, la nourriture que nous allons prendre, c’est nous qui l’avons préparée, et nous bénissons ceux et celles qui ont préparé ce repas. Mais d’abord, chose essentielle, nous nous tournons vers lui le créateur : nous n’avons pas le culot de penser que tout ce qui est sur la table n’est dû qu’à nos propres forces, notre propre génie : non, lui, le créateur de tout bien, c’est lui qui a permis que le bouquet sur la table apporte une touche de beauté, c’est lui qui a permis, dès l’origine, que tel ou tel plat ait sa saveur particulière ; c’est lui qui a permis que nous nous sentions bien autour de la table familiale, peut-être élargie, si le temps de l’été le permet. Ainsi, nous allons manger, et boire ; et cependant, avant de le faire, le mieux possible, comme la sœur de Marthe, nous nous sommes mis aux pieds de Jésus, pour reconnaître que tout vient de lui ; ceci est l’attitude eucharistique par excellence, celle d’accueillir d’abord la Parole comme nous le faisons au début de la messe en écoutant les lectures ; puis nous mangeons ; mais ce que nous mangeons, c’est le pain qu’il a béni et consacré.
8. Seigneur donne-nous désormais de ne prendre notre nourriture qu’avec le sentiment que c’est toi qui nous la donnes, avec le sentiment reconnaissant que, bien que nous participions parfois bien modestement à la mise en place de ce repas, c’est toi qui nous nourris, avec le Pain de la Vie, avec le Vin du Royaume éternel, amen !
P. Loïc Gicquel des Touches